Module 21. La Poésie. 48 interactions. 35 QCM.

La poésie lyrique.

La poésie est proche de la musique, à l'origine. N'est-elle pas aujourd'hui encore surtout présente dans la chanson, accompagnée de la guitare?
Réaction 1


Oui. Les textes des chansons à la mode sont les poèmes les plus connus. Et le chanteur avec sa guitare est une image actuelle aussi courante que jadis le poète couronné de lauriers, pinçant les cordes de sa lyre. On observe d'ailleurs que le mot lyre est la racine même du qualificatif lyrique. L'accompagnement musical mais aussi la danse sont à l'origine d'une poésie tournée vers l'expression de sentiments. La tradition gréco-romaine nous montre Apollon jouant de cet instrument et entouré des neuf muses. Elles représentent l'inspiration, ce mystère de la création artistique. Valéry décrit à sa manière -- poétique -- l'origine du lyrisme. Elle remonte aux Grecs, aux montagnes de l'Olympe, aux muses, à Apollon, dieu du Soleil. Et la parole du poète n'est pas seulement belle, elle est "performative", suivant la légende orphique. Voici comment Valéry rapporte le chant d'Orphée.
Il chante, assis au bord du ciel splendide, Orphée! / Le roc marche, et trébuche; et chaque pierre fée / Se sent un poids nouveau qui vers l'azur délire;
D'un temple à demi nu le soir baigne l'essor, / Et soi-même il s'assemble et s'ordonne dans l'or / A l'âme immense du grand hymne sur la lyre!


Quel est l'effet du chant orphique selon Valéry? Un sentiment communiqué?
Réaction 2


Davantage sans doute, du moins aux yeux des bâtisseurs que nous sommes en ce XXIe siècle. Il s'agit de bâtir un temple. Orphée a comme auditeurs les roches des sommets, et elles sont animées, elles se façonnent, s'élèvent dans les airs (poids nouveau qui vers l'azur délire) s'assemblent, obéissent au chant. Le poète lyrique n'est pas qu'un divertisseur : il crée, en ce sens que son chant introduit dans la nature l'ordre de la raison. Cet ordre est aussi celui de la beauté, selon la conception classique.

Il ne reste, de cette époque fondatrice, que quelques noms : Alcée, Sapho, Pindare, et peu de textes, mais aussi les mythes. Ils en disent long sur le lien qu'ont pu entretenir les Anciens avec le monde, animé par tout un appareil de dieux, déesses, nymphes, satyres, néréides, démiurges... Ce qu'ils comprenaient comme l'âme des choses était personnifié et si nous avons changé de religion, ou rejeté les religions, il nous reste de cet animisme gréco-romain une culture, une passion de la nature, et tout un vocabulaire (Vénus, Hercule).

L'amour, dès cette époque, devient un thème essentiel pour la poésie. Les sentiments auquel le lyrisme trouve une expression sont ainsi façonnés et communiqués comme dans la création orphique. N'est-il pas même plus important de partager un sentiment que de bâtir un temple? Les sentiments s'adressent à des personnes plutôt qu'à des pierres, et ces personnes autant que les temples peuvent être l'image des divinités. Ainsi naît la célébration de la vertu et des beautés de l'être aimé.

Dès la Rome antique, chez Horace, le lyrisme atteint un point considéré depuis comme la perfection. Ses odes sont restées des modèles. Elles sont le point de rencontre du sentiment poétique, du rituel des cultes et du monde sous ses aspects familiers (les amis, les victoires, les anniversaires, les comportements). La nature y est décrite sous ses aspects parfois bénéfiques, souvent maléfiques, voire "horribles" mais au sens latin du mot, c'est-à-dire qui provoque un hérissement, un frémissement, on dirait aujourd'hui une électricité : présence de la poésie.
Ô douce fontaine, ô ma chère, ma limpide Bandoucia! (...) / Je t'immole un chevreau paré des fleurs du printemps (...) / Ta fraîcheur est inaltérable, elle appartient / à la bête errante et libre, au taureau fatigué du labour. / Puissent mes vers te rendre célèbre à jamais! (Horace, Odes, III, 13) Qu'y a-t-il de plus lyrique dans ces vers?
1 La prétention à l'immortalité.
2 L'allocutoire (le poète s'adresse à son sujet)
3 Le rite sacrificiel.
4 La célébration des qualités.
Réaction 3


À ceci vont s'ajouter dans le courant du moyen âge la religion catholique et l'amour courtois, avec pour résultat ce lyrisme occidental du XIVe siècle, dont Francesco Petrarca, en Italie, est le premier modèle.
Oui, bénie soit cette douleur exquise / qu'Amour causa en m'unissant à lui. / Béni soit l'arc et bénie soit la flèche / Et la plaie qu'elle ouvrit au tréfonds de mon coeur. (Pétrarque, Sonnet). Qu'y a-t-il de lyrique dans cet extrait?
1 Le pétrarquisme (douleur exquise)
2 Le mythologisme (Amour, arc, flèche).
3 Sans doute la mélodie originale ou encore celle de Liszt.
4 Le sentiment amoureux.
Réaction 4


Les antithèses subtiles et paradoxales vont fasciner la cour d'Espagne et se répandre dans toute l'Europe (conceptisme, gongorisme, euphuisme).
Gongora (1561-1627) est certes le poète espagnol du siècle d'or qui a le plus marqué son époque. Voici, de lui, une strophe typique: Les formes se profilent en or et par miracle font non les beautés obscures mais l'obscurité belle. (Dans la Délirante, no 8, p.143) La traduction la prive de sa beauté plastique, mais quant au contenu, doit-on parler de maniérisme?
1 Oui. Il s'agit d'étonner par des rapprochements "merveilleux".
2 La préciosité, chez Gongora, est poussée jusqu'à l'obscurité mais c'est à cause de sa conception philosophique et poétique de l'univers.
3 Le gongorisme est de la poésie pure et non un travail de la forme.
4 A l'instar de Cervantes, Gongora pratique la description ironique.
Réaction 5


Le lyrisme ne doit pas être lié au baroque, si subtil. Mieux vaut le chercher dans la musique des poèmes, plus proche du corps que de l'esprit. Le rythme du texte, ses sonorités, ses intonations implicites trouvent leur équivalent dans une mise en musique appropriée, dès l'origine. Sans doute est-ce dans cette musique que peut le mieux se transmettre la spécificité du poème, ce qu'il a été pour son auteur. Car les mots ont quelque chose d'abstrait, alors que, prononcés, ils reçoivent d'emblée un rythme et des intonations, ils ont leur musique naturelle. Celle-ci va prendre une importance que la musique permet de reconnaître. À la Renaissance, la description des effets de l'amour et notamment de ses angoisses, voire de la discontinuité que la passion introduit dans la durée d'une existence personnelle, s'est affinée.

En France, où le baroque n'a pas eu autant de succès, le plus grand poète lyrique est sans doute Ronsard. Voici un poème où il reconnaît sa dette envers Horace.
Ô Fontaine Bellerie / Belle fontaine chérie / De nos Nymphes, quand ton eau / Les cache au creux de ta source / Fuyantes le satyreau / qui les pourchasse à la course / Jusqu'au bord de ton ruisseau. (...)
L'été je dors ou repose / Sur ton herbe où je compose, / caché sous tes saules verts, / Je ne sais quoi, qui ta gloire / Enverra par l'univers / Commandant à la mémoire / Que tu vives par mes vers. (...)


Comme Pétrarque, Ronsard est amoureux.
Vous aviez d'une infante encore la contenance, / La parole et les pas ; votre bouche était belle, / Votre front et vos mains dignes d'une immortelle, / et votre oeil, qui me fait trépasser quand j'y pense. Amour, qui ce jour-là si grandes beautés vit / Dans un marbre, en mon coeur, d'un trait les écrivit. (Ronsard, L'an se rajeunissait, dans les Amours, Pièces retranchées, XXX) Que voyez-vous de plus lyrique dans cet extrait?
1 La structure rythmique.
2 Le thème de l'amour.
3 Les images littéraires.
4 Le mythologisme.
Réaction 6


Ni chez Pétrarque, ni chez Ronsard, les mots ne disent grand-chose de la figure, de la personne, du caractère, du vêtement, du cadre. C'est l'effet produit, l'effet sacré en quelque sorte, qui importe. D'où le baroque, qui ne craint pas l'extase et l'hyperbole.

Or le sentiment personnel du poète n'est pas perdu pour autant : il va se réfugier dans le rythme et les sonorités. Déjà chez Horace, si l'ode est d'une syntaxe travaillée, c'est pour permettre des jeux sur les mesures rythmiques qui reproduisent le thème et découpent d'une manière aussi particulière que variée et harmonieuse, la durée de la récitation, qui se fait toujours à voix haute. Là surtout réside le façonnement esthétique. Et les poètes de la pléiade tenteront vainement de réintroduire dans le moyen français ces syllabes longues et brèves qui permettaient la musique du vers.

De ce point de vue, il importe ici de faire à nouveau un détour, hors de France, du côté des langues germaniques. D'ailleurs comment parler de lyrisme sans mentionner les poètes romantiques anglais : Wordsworth, Keats, Shelley? Ou les allemands, plus considérables encore : Novalis, Hölderlin, Brentano?

L'âme romantique.

Contentons-nous de trois extraits.
J'écoute la nuit ; et comme bien des fois / J'ai presque désiré la douceur de la mort, / Lui donnant tendres noms en maint vers médité, / Pour qu'elle dissipât dans l'air mon souffle éteint (...)/ Tandis que tu répands ton âme autour de toi / (Ô rossignol) Au milieu de pareils transports! Peut-on saisir quelque chose de l'origine du lyrisme romantique dans ces quelques vers de l'Ode à un rossignol, de John Keats (1819)?
1 Le chant du rossignol nocturne invite le poète à une extase décisive.
2 Keats voit dans le lyrisme une expérience intérieure insurpassable.
3 À l'origine du romantisme se trouve une religion de la nature qui ramène à la mythologie.
4 Un rapport quasi religieux s'établit entre la totalité et l'individu par la nature.
Réaction 7


Ainsi le poème lyrique se présente-t-il pour l'âme romantique comme le lieu de rencontre du moi, du monde et de l'infini (ici représenté par la mort). Car la mort est alors conçue comme ouverture. Elle met l'amour au large de toute destruction. Le chant du rossignol fait sentir sa beauté comme en dehors du temps. Mais voici le romantisme allemand, qui se rend plus loin encore.
Les yeux que la Nuit / Ouvre en nous / Semblent dans leur éloignement / Bien plus célestes que ceux / D'étoiles scintillantes. (...) Tu viens, mon aimée / La Nuit est là. / Ma course terrestre est accomplie (...)/ Je regarde en tes yeux profonds et sombres (...) / Nous descendons sur l'autel de la Nuit, (...)/ Nos vêtements tombent,/ Et la pure ardeur / Du sacrifice délicieux / S'enflamme et brûle (Novalis, les Hymnes à la Nuit, I) Comment caractériser le lyrisme du mouvement romantique allemand?
1 Comme Rousseau, comme Keats, Novalis puise dans la nature un contact avec sa propre transcendance subjective.
2 Il se rattache aux mythologies germaniques, qui lui donnent leur érotisme diffus.
3 Il garde aussi des traces du ritualisme des religions chrétiennes.
4 Le religieux, le mythique, la nature fusionnent dans une passivité subjective ouverte de manière illimitée.
Réaction 8


Peut-on d'emblée, dans ses racines profondes, définir ici le lyrisme? Que diriez-vous? Dans quelle condition peut-il retenir notre attention comme genre littéraire?
Réaction 9


Il faut un certain degré de profondeur intime, subjective, mais aussi d'étendue, voire d'universalité, pour les images comme pour le contenu. Ainsi, on voit mal un domaine comme l'océanographie ou la comptabilité se traiter sur le mode lyrique. La poésie lyrique est le domaine par excellence du "je", qui y manifeste sa relation au monde, à la nature, à un autre "je". La foule, les affaires publiques, commerciales, artisanales, semblent en être éloignées. Même un thème lyrique comme celui de la fontaine est renouvelé dans ce sens par Brentano.
Solitude, ô fontaine du silence, (...) / Depuis l'heure où dans ton délice / J'ai plongé ma vie éblouie, / Depuis qu'a déferlé sur moi / Le sombre charme de ta houle, / Ma nuit se peuple de feux. / Voici chanter de mon âme / Les étoiles étincelantes, / Sur le rythme qu'un Dieu me bat. / Tous les soleils de mon coeur, / Les planètes de ma joie, / Les comètes de ma douleur, / Résonnent clair dans ma poitrine. (Clemens Brentano, Échos de la musique de Beethoven, trad. G. Roud)
1 Il y a, par le rythme, une communication de la durée à la personne.
2 La solitude favorise la prise de conscience poétique.
3 L'expérience poétique a besoin de s'exprimer en étendant la conscience jusqu'aux limites de l'univers.
4 Le poète romantique est fermé sur soi et il n'est pas rare qu'il sombre dans la folie.
Réaction 10


Le poète romantique trouve dans son âme, qui est le centre de tout, un accès vers les limites extrêmes de tout ce qui est, à la fois dans le temps et dans la pensée, donc hors du temps.

Le romantisme français va-t-il dans le même sens?
«Les marronniers du parc et les chênes antiques Se berçaient doucement sous leurs rameaux en pleurs. Nous écoutions la nuit; la croisée entrouverte Laissait venir à nous les parfums du printemps; Les vents étaient muets, la plaine était déserte; Nous étions seuls, pensifs, et nous avions quinze ans. Musset, Lucie. Quel est l'aspect le plus typiquement romantique de cet extrait élégiaque?
1 Le goût de la nature.
2 Le vers "facile"
3 L'intimisme
4 Le thème de l'amour.
Réaction 11


Dans le même sens, certainement, mais avec plus de naturel et de simplicité, et sans doute moins loin.

Le lyrisme post-romantique.

Le lyrisme va-t-il se prolonger au-delà du romantisme? Y a-t-il du lyrisme dans le symbolisme, par exemple? Ou dans le Parnasse?
Réaction 12


Dans le symbolisme sûrement, quoique ce mouvement poétique, qui caractérise le tournant du XIXe siècle, tire son nom d'un procédé qui a fait ses preuves surtout au moyen âge, du temps où la nature était interprétée comme un livre "qui raconte la gloire de Dieu". Il ne faudrait pas confondre, cependant, le symbole comme concept scolastique ramenant tout le visible à l'acte créateur et le symbole comme procédé littéraire en pleine époque réaliste, voire naturaliste, pour le roman. Ce n'est plus de "beauté du monde" qu'il est question à l'époque de l'industrialisation et des conflits sociaux. Mais jugeons sur pièces. Voici trois extraits symbolistes étonnamment semblables.
Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur? (Verlaine, Ariettes oubliées, III)
Pleurez, oiseaux de février
Au sinistre frisson des choses
Pleurez, oiseaux de février
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses
Aux branches du genévrier. (Nelligan, Soir d'hiver)
Sous l'ennui morne des roseaux,
Seuls les reflets profonds des choses
Des lys, des palmes et des roses
Pleurent encore au fond des eaux.
(Maeterlinck, Reflets)

Quel est l'aspect le plus typiquement symboliste des trois extraits suivants? Il pleure dans mon coeur / Comme il pleut sur la ville / Quelle est cette langueur / Qui pénètre mon coeur? (Verlaine, Ariettes oubliées, III) Pleurez, oiseaux de février / Au sinistre frisson des choses / Pleurez, oiseaux de février / Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses / Aux branches du genévrier. (Nelligan, Soir d'hiver) Sous l'ennui morne des roseaux, / / Seuls les reflets profonds des choses / Des lys, des palmes et des roses / Pleurent encore au fond des eaux. (Maeterlinck, Reflets)
1 Le thème des larmes
2 Le sentimentalisme.
3 L'imprécision du vocabulaire et des images.
4 L'importance du rythme et de la musique.
Réaction 13


Ce qui se conserve du romantisme au symbolisme, on pourrait dire que c'est l'aspect le plus proche de la perception même de soi. Cette intimité est faite d'un vide qui est fait de possibilités immenses et on y retrouve de l'ésotérisme. Celui-ci semble vouloir se prolonger dans le poème du XXe siècle.
Georges Schéhadé, le Nageur d'un seul amour. Et plus loin dans un ciel de bougies Les icônes voyagent Qu'est-ce qui est le plus poétique dans ces vers?
1 Le rythme dactylique: `uu|=#uu|=uu|=' / `uu|=uu|='
2 Le contenu: on voit des objets sacrés orthodoxes "voyager" dans le ciel, un peu comme le chandelier à sept branches dans certains tableaux de Chagall.
3 L'aspect sonore (allitération du l, du i).
4 (N'importe)
Réaction 14


Puisque le contenu compte si peu (il est toujours là pour autre chose que lui-même), la forme du poème importe d'autant plus, que ce soient les sonorités, les intonations ou le rythme.
Verlaine, MARINE Et qu'au firmament, Où l'ouragan erre, Rugit le tonnerre Formidablement. Qu'est-ce qui est le plus poétique dans ces vers?
1 Le rythme (5#5#5#5).
2 Le sens.
3 Les sonorités (harmonie imitative, allitération de r, l, m, an).
4 L'image.
Nos grands bois sentiraient la sève, Et le soleil Sablerait d'or fin leur grand rêve Vert et vermeil. Rimbaud, les Reparties de Nina. Qu'est-ce qui est le plus poétique dans cette strophe?
1 Le rythme (35/4//35/4)
2 Les sonorités (s/r/è/ill)
3 Les images (sabler d'or, rêve vert)
4 L'hypogramme (merveille)
Réaction 15


Pensez-vous possible d'interpréter et de situer historiquement un poème rien qu'à le lire, sans même en savoir l'auteur? En examinant de près l'extrait suivant, pouvez-vous lui trouver une appartenance à un des mouvements mentionnés ci-dessus?

Quoique nous le voyions fleurir devant nos yeux,

Ce jardin clair où nous passons silencieux,

C'est plus encore en nous que se féconde

Le plus joyeux et le plus doux jardin du monde.

(......)

Et qu'importent et les pourquois et les raisons

Et qui nous fûmes et qui nous sommes :

Tout doute est mort, en ce jardin de floraisons

Qui s'ouvre en nous et hors de nous, si loin des hommes.
Réaction 16


Le rythme est très marqué, redondant. La règle de la rime est plus respectée que nécessaire. Le discours est trop oral et trop banal et c'est sans doute volontairement. Enfin, cet ésotérisme (en nous), ce double mouvement de soi vers la nature et réciproquement, accessible aux initiés. Tous les traits du symbolisme! De fait, c'est tiré des Heures claires d'Émile Verhaeren (1896).

Les poèmes sont des pièces assez fines pour avoir une histoire formelle caractéristique, dans laquelle leur art poétique les situe avec autant d'exactitude qu'une peinture ou une façade architecturale peuvent trouver leur place dans les histoires de l'art. Toutefois, bien entendu, les modèles anciens peuvent toujours recevoir toutes sortes d'imitations et ressurgir à différentes époques.

Par exemple, il y a du classique dans le poème parnassien.
«Le vent froid de la nuit souffle à travers les branches Et casse par moments les rameaux desséchés; La neige sur la plaine où les morts sont couchés, Comme un suaire étend au loin ses nappes blanches. J'entends gémir les morts sous les herbes froissées. O pâles habitants de la nuit sans réveil, Quel amer souvenir, troublant votre sommeil, S'échappe en lourds sanglots de vos lèvres glacées? Ces deux strophes sont tirées des Poèmes barbares de Leconte de Lisle. Elles sont assez représentatives de la poésie du Parnasse. Elles ont, en effet, certains aspects typiques: ________.
1 La confidence sentimentale
2 La perfection formelle
3 Le goût de la nature
4 Les figures de rhétorique (notamment la question oratoire).
Réaction 17


Apollinaire fait la transition entre le symbolisme et le surréalisme.
Apollinaire se souvient, dans le Guetteur mélancolique, de promenades dans les environs de Stavelot, avec Annie. Or nous regardions les cygnes Nager ce soir plein de tiédeur Sur le grand lac où se résignent Les branches des saules pleureurs Et c'était l'heure où le jour meurt.
1 Les vers sont très liés ensemble. Il n'y a pas de césure strophique.
2 On peut voir une césure médiane après tiédeur.
3 Il y a césure différée, après pleureurs.
4 Deux césures différées, après pleureur et, curieusement, à l'hémistiche du dernier vers.
Réaction 18


La forme du poème a-t-elle à suivre des règles, ou bien vaut-il mieux qu'elle épouse les intentions poétiques avec une liberté majeure? Parmi les «formes fixes», dans la poésie de langue française, la plus importante est le sonnet.
Comparons les tercets du sonnet d'Uranie (V. Voiture) : Quelquefois ma raison par de faibles discours / M'incite à la révolte et me promet secours: / Mais lorsqu'à mon besoin je me veux servir d'elle, // Après beaucoup de peine et d'efforts impuissants, / Elle dit qu'Uranie est seule aimable et belle / Et m'y rengage plus que ne font tous mes sens. Et les tercets du sonnet de Bensérade sur les malheurs du pauvre Job: Bien qu'il eut d'extrêmes souffrances / On voit aller des patiences / Plus loin que la sienne n'alla. // Il souffrit des maux incroyables, / Il s'en plaignit, il en parla : / J'en connais de plus misérables.
1 Les rimes sont en ccd eed. Le sens respecte cette division.
2 Le sens ne respecte pas la division en strophes.
3 La division en strophe serait plus cohérente avec des rimes en ccd ede (sonnet classique et romantique)
4 Voiture coupe au milieu du premier tercet, comme s'il n'avait que deux vers et que le dernier tercet était un quatrain.
Réaction 19


Le passage du sonnet de la Renaissance au sonnet classique n'est pas dépourvu de signification. En passant à ccd ede, on crée des groupes cc dede, que la phrase peut souligner, comme le fait Voiture ci-dessus. Cela revient à noyer la division en tercets. Alors que les deux quatrains correspondent étroitement, les tercets cessent de rimer par leur dernier vers. Voiture cherche à effacer la fixité au profit du naturel. Cette tendance est suivie plus tard à un tel point que l'alexandrin sera de plus en plus effacé (mais parfois toujours respecté en surface).

Avant de développer cette évolution formelle, concluons ce bref aperçu sur le lyrisme. Quel serait, selon vous, le propre de la poésie lyrique?
Réaction 20


Variations sur les thèmes de l'amour et de la mort, de la joie et de la douleur, la poésie lyrique garde, à travers toute son évolution, une visée qui est plus que sentimentale au sens restrictif du terme, une visée ineffable, indicible autrement que par le poème sous tous ses aspects. On dit que l'oeuvre littéraire est dans les mots mais ici elle est parfois davantage dans les rythmes, les intonations, les mélodies. Le poète cherche, par des textes de forme savante ou populaire, à donner une idée de la profondeur intime de son expérience du monde, à transcender les limites extérieures apparentes de la condition d'être soi. Le lyrisme s'épanouit dans une société et dans une littérature qui accordent une grande importance à l'individu, à sa liberté d'expression et à ses passions.

C'est dire que la rime, qui passe pour une forme incontournable de la poésie, n'en est qu'un indice très secondaire. Rien n'interdit le vers libre, ni même le poème en prose.

Le poème en prose.

Il remonte à "Aloysius" (Louis) Bertrand (1807-1841), à son Gaspard de la nuit. Baudelaire, qui a redécouvert Bertrand, donne au poème en prose ses lettres de noblesse avec le Spleen de Paris. Rimbaud y inscrit un chef-d'œuvre : les Illuminations. Max Jacob s'y divertit savamment et mystérieusement (le Cornet à dés). Le genre est maintenant bien établi : Pierre Reverdy, Francis Ponge, Jean Tardieu, Maurice Chapelan, René Char, Günter Eich, poète allemand, Robert Bly, poète américain... Mais qu'est-ce qui fait que l'on peut encore parler de poème quand c'est écrit en prose? Voici un extrait de Gaspard de la nuit (III,5).

LE CLAIR DE LUNE
Réveillez-vous, gens qui dormez,
Et priez pour les trépassés.
Le cri du crieur de nuit.
Oh! qu'il est doux, quand l'heure tremble au clocher, de regarder la lune qui a le nez fait comme un carolus d'or!
*
Deux ladres se lamentaient sous ma fenêtre, un chien hurlait dans le carrefour, et le grillon de mon foyer vaticinait tout bas.
Mais bientôt mon oreille n'interrogea plus qu'un silence profond. Les lépreux étaient rentrés dans leur chenil, aux coups de Jacquemart qui battait sa femme.
Le chien avait enfilé une venelle, devant les pertuisanes du guet enrouillé par la pluie et morfondu par la bise.
Et le grillon s'était endormi, dès que la dernière bluette avait éteint sa dernière lueur dans la cendre de la cheminée.
Et moi, il me semblait, - tant la fièvre est incohérente, - que la lune, grimant sa face, me tirait la langue comme un pendu!


Alors, sans versification, à quoi voit-on encore que c'est un poème? Serait-ce dû aux alinéas, qui alignent des phrases dont la longueur est à peu près égale, et qui seraient des versets plutôt que des vers, comme dans certains textes liturgiques?
Réaction 21


On peut identifier des sortes de versets, mais cela ne suffit pas à former un poème. On observe toutefois qu'en outre, ces phrases sont intérieurement rythmées : il suffit d'en décompter les groupes de syllabes. Il y en a trois par phrase (il est possible de dire chaque verset en faisant trois groupes ou trois sur-groupes). Ainsi la dernière a trois sur-groupes de deux mots phonétiques chacun, ce qui figure la démarche fiévreuse.

Le poème en prose a une structure rythmique manifeste. Il a aussi un contenu poétique, ici l'atmosphère particulière du moyen âge, certes, mais cela suffit pas, cela ne fait que mettre du pittoresque pour un récit. Ce qui est plus lyrique est la présence du narrateur, et sa fièvre. La poésie en prose, étant moins pourvue de signes codés, oblige à mieux définir le contenu intrinsèque du genre.

Quelques comparaisons vont maintenant clarifier le débat. Doit-on distinguer poème en prose et prose poétique ou bien cela revient-il au même?
Commentant une peinture d'aliéné, Henri Michaux, dans les Ravagés (p.23), écrit: Dans la pauvreté des foules, dans l'indigence du grabat, dans le mourant coloris des fleurs, dans la petitesse des mains, dans les torsions grimaçantes de la robe emportée, dans le grouillement derrière elle de tourbillons excessifs, la malignité des forces adverses parle. De quelle sorte de phrase s'agit-il?
1 Une période car il s'agit d'une phrase ordonnée et équilibrée.
2 De la prose poétique car il y a régularité dans la distribution de la durée entre les groupes.
3 Un verset car il y a une structure rythmique analogue à celle d'un vers, quoique faite de mots phonétiques.
4 Un poème en prose car le texte est poétique et se suffit à lui-même au point de vue du contenu.
Réaction 22


Curieux texte, au rythme violenté comme son sujet, et donc significatif dans son manque d'harmonie. Mais n'est-ce pas l'harmonie, justement, qui caractérise la prose poétique? On sait, pour avoir lu Fénelon, Rousseau, Musset et Gide (entre bien d'autres), qu'il existe une prose «nombreuse», cadencée. Elle se retrouve dans la plupart des poèmes en prose, mais il y a une nuance entre prose poétique et poème en prose. La substance et la qualité s'inversent. Une prose devient poétique du seul fait de son harmonie. Le texte de Michaux va dans ce sens et, pour mieux coïncider avec son sujet, va jusqu'à rejeter cette harmonie. Il est donc encore de la prose, mais une prose dont la forme tend vers un rythme; pas spécialement «poétique» si l'on veut, dans ce cas-ci, mais dont la structure a tout de même fait l'objet d'un travail déterminé. Cependant, le poème en prose est d'abord un poème. Qu'est-ce que cela peut vouloir dire? Qu'il serait tout de même constitué de vers?
J'ai fait un vers de dix-sept pieds! [...] Mon vers n'est pas de dix-sept pieds, / Il est de deux vers bien divers, / Un de sept, un de dix, Riez / Du distinguo: c'est bon, rire. Et c'est meilleur encore, aimer vos vers! (Verlaine, Épigrammes, II, IV)
1 Le dernier vers n'en est pas un. Il sert à introduire la prose dans le poème.
2 Verlaine est celui qui se donne pour art poétique «de la musique avant toute chose / Et pour cela préfère l'impair». Il veut sortir du ronron trop «harmonieux».
3 Il s'adresse à Moréas, qui venait de se vanter d'avoir fait des vers de seize pieds. Comme le sien est ramené à deux plus courts, il réfute en quelque sorte la prétention de Moréas.
4 Le vers libre est à la mode. Son rythme suffit à le constituer. Trouver des rythmes jusque dans les phrases apparemment le plus prosaïques est une expansion de la poésie «symboliste».
Réaction 23


Le problème se complique mais c'est la seule manière d'arriver à l'éclaircir. Fond et forme s'unissent ou s'opposent dans diverses combinaisons. En privilégiant, comme en peinture, les innovations formelles (pointillisme, cubisme, fauvisme, etc.) la poésie moderne part dans une diversité de directions balisées sans contraintes extérieures.

Il y a eu deux étapes de transition. La première fut banale. Il y a moyen de mettre de la prose dans le cadre rigide du vers graphique et syllabique, comme l'ont fait Jean-Baptiste Rousseau et Jean-Antoine Roucher, parmi bien d'autres, au XVIIIe siècle. Même des discours scientifiques ou épidictiques parurent dans les salons de Versailles affublés de mythologie factice, de tours recherchés, de rythmes cadencés, qui leur conféraient de l'élégance à défaut d'élévation. La forme classique ici prime sur le fond.

Le symbolisme gouailleur de Verlaine et Rimbaud font aussi la révérence aux règles du vers, et de la rime, mais en subvertissant le fond et même le rythme. On les lit sans respecter le vers. Il ne s'entend plus.

Bertrand libère le vers bien plus qu'Hugo et même que Verlaine puisqu'il n'affecte pas d'aligner des alexandrins. Sa découverte est que cela n'empêche nullement de créer des rythmes. Le poème en prose consiste à mettre un rythme poétique dans un texte suivi, un texte qui ne serait pas découpé graphiquement ni par un décompte de syllabes.

Une si légère contrainte suffit-elle à transformer un morceau de prose en poème?
Réaction 24


S'ajoutent au poème en prose les autres traits caractéristiques des poèmes : contenu, images, unité de l'ensemble, dimension, effets. La force du poème en prose est de devoir être foncièrement poétique. Il ne peut pas se contenter de l'être formellement, comme le poème versifié.
Il n'y a pas la première pierre de cette maison dont tu rêvais. Pourtant la première poussière ne s'est jamais posée sur les palais que nous soutenions. Ils avaient des fenêtres doubles, pour nous deux, des lumières constantes et des nuits immenses, ô sentimentale! (Éluard, la Vie immédiate) Qu'y a-t-il de lyrique dans ce poème en prose?
1 L'atmosphère.
2 Le rythme (4444//232/222/44//232/3/32/32//14...)
3 Les parallélismes.
4 L'exclamation.
Réaction 25


Voici, comme contre-exemple, l'inverse du poème en prose, si l'on peut dire.
l'ébat des anges; --- Non... le courant d'or en marche, meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d'herbe. Elle sombre, ayant le Ciel bleu pour ciel-de-lit, appelle pour rideaux l'ombre de la colline et de l'arche. Rimbaud, Mémoires. Cette strophe est constituée ______.
1 de vers libres
2 d'alexandrins
3 de versets rythmiques
4 de prose rythmée
Réaction 26


Mais serait-ce encore de la poésie si ces quatre vers avaient été présentés comme ils doivent être lus : en un seul alinéa, en prose? Alors, serait-ce pour se moquer de l'alexandrin que Rimbaud le singe, en quelque sorte? Le poétique n'est pas dans cette pose. Il passe par dessus.
Du même désert, à la même nuit, toujours mes yeux las se réveillent à l'étoile d'argent, toujours, sans que s'émeuvent les Rois de la vie, les trois mages, le coeur, l'âme, l'esprit. Quand irons-nous, par delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer --- les premiers! --- Noël sur la terre! Le chant des cieux, la marche des peuples! Esclaves, ne maudissons pas la vie. (Rimbaud, Matin, dans Une saison en enfer)
1 Texte politique. Appel un peu prophétique à une sorte de "grand soir".
2 Texte religieux, où les mages, Noël, les démons témoignent d'une appartenance.
3 Texte critique, où des concepts comme l'esprit, le travail et la superstition témoignent d'une réflexion sur la société.
4 Texte de prose poétique, où les contenus culturels expriment un vécu personnel.
Réaction 27


Contemporain de Rimbaud, Lautréamont a la même écriture : prose muée en poésie. Son oeuvre, également boudée des contemporains, a pris de plus en plus d'importance.

Quelles imprécations! quels déchirements de voix! Ils m'ont reconnu. Voilà que les animaux de la terre se réunissent aux hommes, font entendre leurs bizarres clameurs. Plus de haine réciproque; les deux haines se sont tournées contre l'ennemi commun, moi; on se rapproche par un assentiment universel. Vents qui me soutenez, élevez-moi plus haut; je crains la perfidie. Oui, disparaissons peu à peu à leurs yeux... (Lautréamont, les Chants de Maldoror, I, 10.) Qu'est-ce qui est le plus poétique dans cette prose?
1 Le style sublime, la prosopopée.
2 La modélisation alternative, le fantastique.
3 L'auto-victimisation.
4 La dramatisation, la chrie.


C'est le moment de vous essayer à la prose rythmée, voire au poème en prose. Écrivez, dans votre domaine, quelques lignes de ce style, ci-dessous.
Réaction 28


L'inconvénient, peut-être, du poème en prose est sa longueur. Qui cherche la brièveté peut se tourner vers le haï-ku.

Le haï-ku.

Le haïku est un petit poème composé de trois vers respectivement de 5, 7 et 5 syllabes. Il comporte toujours une référence à la nature. Il exprime une sensation ténue, une impression ineffable, il rend compte d'une sorte d'illumination, d'étonnement éprouvé par le poète devant des choses communes, banales: le bruit de la pluie, le reflet de la lune dans l'étang, un objet, un animal, un marcheur solitaire, etc.Exemples.
SOLITUDE
Sur une branche morte
Repose un corbeau :
Soir d'automne! (Bashô, XVIIe siècle)
MOMENTS FRAGILES
Le chant du coq me frappe en pleine poitrine
là où tu dormais voilà des siècles
(Jacques Brault, 1984)


Le haï-ku est-il un genre archaïque ou bien garde-t-il une certaine actualité?
Réaction 29


Il semble de plus en plus pratiqué, mais d'une manière assez libre. La plupart des haïkistes ont rejeté les règles traditionnelles du genre, comme la métrique contraignante et la référence à la nature. Ce qu'ils ont gardé, c'est l'idée de saisir un moment fragile, une sensation fugitive dans un poème bref et simple, dans une forme minimale. Le contenu s'est diversifié: les haïkistes parlent de la ville, des choses de la vie moderne, etc.

Est-ce pour gagner du temps et pouvoir lire de la poésie dans le métro que l'on se tourne vers le poème bref?
Réaction 30


Un grand nombre de poètes, qui ne sont pas forcément des haïkistes, pratiquent une écriture dépouillée, condensée, fragmentaire, proche de l'indicible, du silence. Mais ce silence est celui d'un individu unique, il a une solidité originale. Son autarcie se manifeste dans un texte totalement improbable et imprévisible : surréaliste.

Le poème surréaliste.

Bien décidés à se rendre au-delà du sens, par tous les moyens, les poètes surréalistes ont formé une équipe à la fois unie et rivalisant d'audace dans leurs attaques du monde et des mentalités.
Voici, dans Cours naturel d'Éluard, les Veillées perpétuelles, XI. Un grand feu dans la cheminée Un bon tapis par terre Quelques chaises autour de la table Des brosses des charrues des clairons des dentelles Le tout soigneusement enduit de glu. C'est un poème ______
1 comique. Il se termine de façon déceptive.
2 ironique. Le confort se révèle piégé. (Glu est à prendre au figuré).
3 absurde; aux yeux mêmes de l'auteur.
4 surréel. Le rapprochement avec glu est difficile. On ne peut engluer le feu, surtout "soigneusement".
Réaction 31


Du point de vue logique, le poème surréaliste offre un terrain d'exploration fascinant. Bibliographie recommandée : Michèle Prandi, Sémantique du contresens (1987, 217p).
Quel est l'aspect le plus typiquement surréaliste des extraits suivants? «La descente de lit de loup blanc à perte de vue» (André Breton) «Petits yeux de mica de l'amante d'acier trempé jusqu'à l'os» (Roland Giguère)
1 le comique
2 l'association d'éléments compatibles seulement deux à deux
3 l'hallucination
4 l'adynaton (ou impossibilité)
Réaction 32


La contradiction ou incompatibilité entre les termes constitue le procédé principal du surréalisme. Plus les termes arbitrairement rapprochés seront contradictoires, plus l'étincelle de la beauté sera forte, dit Breton. Mais l'écart ne suffit pas, il faut qu'il se trouve «justifié» sans figuration (isotopie), il faut qu'il nous arrache aux limites prévues de l'univers.
Par lequel des aspects proposés par Breton et Éluard le texte que voici est-il surréaliste? NOMBRIL. ... Quand les nombrils se détachent des cravates, ils roulent comme de petites roues dans l'air et y laissent des traces qui cicatrisent difficilement (Hans Arp, au Dictionnaire abrégé du surréalisme).
1 Il "recèle une dose énorme de contradiction apparente".
2 Il tire de lui-même "une justification formelle dérisoire".
3 Il est "d'ordre hallucinatoire".
4 (N'importe)
Réaction 33


Alors que le symbolisme évoquait un monde intérieur, le surréalisme donne la parole à l'inconscient, révoque le contrôle de la raison et de la clarté. L'obscurité des textes surréels est un en deçà de sens nouveaux, à inventer plus encore qu'à découvrir (et peu importe ce que l'auteur a pu penser pour sa part).
Les textes surréalistes passent pour incompréhensibles.
1 Ils sont codés. Benjamin Péret substitue poussant à arbre, etc. par exemple.
2 Ils sont plagiés. L'immaculée Conception inverse des proverbes. Éluard loue Lautréamont d'avoir démarqué Vauvenargues (O.C., I, p.547).
3 Ils opèrent en réaction contre un intertexte conventionnel et clair. Il leur suffit d'être différents pour valoir qqch., comme subversion.
4 Ils ont plusieurs sens, non déterminés d'avance.
Réaction 34


Le surréalisme supporte-t-il même le jeu sur la forme du mot?
Joie / j'ois / j'entends / j'antan / jadis / jà dix? Jade Ys // autrefois / autre foi / hérésie errez y (ne vous garez pas!) / Et Gare Ève où? / Égarez-vous. (Desnos, l'Aumonyme) Y a-t-il un procédé d'écriture?
1 L'homonymie.
2 Le mot dévalisé.
3 L'allographe.
4 Écriture homophonique.
Réaction 35


Ce sont donc les sonorités, c'est la matière même du mot qui va engendrer le poème, comme «signifiance», avec une ouverture sur de l'inattendu, tout comme dans le simple jeu de mot, mais avec une valeur qui doit l'emporter sur celle de toute autre chose.
Dahlia... dahlia... Que Dalila lia! (Max Jacob)
1 Mot dévalisé (on en extrait une périphrase dont il serait la contraction).
2 Homophonie (deux groupes se prononcent de même).
3 À-peu-près (modification évoquant un autre mot).
4 Allographe (mot remplacé par d'autres de même sonorité).
Réaction 36


Comment faire du surréalisme? Avez-vous une idée? Faites un essai?
Réaction 37


On part de quelque endophasie -- une phrase vous vient à l'esprit, ou d'un slogan, d'une réplique qui vous trotte en tête, peu importe, et on la transforme par subversion du sens, c'est-à-dire sans tenir compte du locuteur ou de ses intentions, en y substituant n'importe quoi de différent, d'autres personnes, d'autres situations, d'autres mots, d'autres sonorités simplement...

(Mauvais) exemple : vous avez du chagrin et vous vous dites tout passe. Il suffit de reprendre en déplaçant qqch. -- C'est ça : tout passe, tout pisse, toute puce (etc.)

Que faire pour aller aussi loin que le surréalisme tout en restant soi-même? De la création personnelle; qui sera surréelle ou comique si l'on veut mais, pour inventer (et rien ne vaut en littérature qui ne soit original), il faut (et il suffit) de n'imiter personne, de se rendre libre.

Le vers libre.

Entre le vers régulier et le vers libre, il y a autant de distance qu'entre la danse classique et une danse artistique moderne. Chaque poète prend vis-à-vis des règles les libertés qu'il veut. Musset déjà trouve que la rime - qui n'avait pas de secret pour lui - est trop banale. Il dérime. Apollinaire, pour mieux respecter un rythme qu'il scandait en chantonnant, supprime la ponctuation, qui lui semble introduire des pauses disgracieuses dans le vers. Il adopte souvent un vers de longueur arbitraire, mais mieux rythmé que si le compte s'était fait par syllabe. Les surréalistes emboîtent le pas, d'autant plus qu'ils veulent "s'égarer" comme dit Desnos, donner la parole à l'inconscient (écriture automatique).
PAGE D'ÉCRITURE (Prévert, Paroles) Deux et deux quatre / quatre et quatre huit / Répétez! dit le maître / Mais voilà l'oiseau-lyre / (...) l'enfant l'appelle : / Sauve-moi / (...) Et l'enfant a caché l'oiseau / dans son pupitre (...)/ Et l'oiseau-lyre joue / et l'enfant chante / (...) et les murs de la classe / s'écroulent tranquillement. / (...) les pupitres redeviennent arbres / la craie redevient falaise / le porte-plume redevient oiseau. Qu'est-ce qui caractérise le mieux Prévert?
1 La performativité du chant, qui fait que tout retourne à la nature.
2 Des trouvailles comme les deux syllepses : oiseau-lyre, porte-plume.
3 Le vers libre bien cadencé (31/31/33/ /4/3/ /332/4/ /41/31/ /33/24/ /34/25/45).
4 La simplicité bon-enfant.
Réaction 38


Mais faut-il vraiment compter les syllabes des mots phonétiques, les regrouper et dire le vers à haute voix, comme autrefois? Pourquoi ne pas se contenter de lire en silence, et laisser le rythme à la chanson?
Réaction 39


Grave question, et il est de fait que le vers français a été de plus en plus dans la direction du lu, avec une prédilection pour quelques procédés purement graphiques comme la grosseur des caractères ou leur emplacement relatif sur la page. Il faut tenir compte de ce qu'a voulu l'écrivain et de ce que l'on cherche soi-même, surtout dans le poème structuraliste, où le sens doit être apporté par le "consommateur". Mais justement de ce point de vue, si l'on est en situation d'oralité (devant un auditoire amical ou scolaire), pouvoir dire le vers de manière à lui rendre justice (à lui donner non du sens général mais son sens intime, où communiquent les personnes en présence) requiert une répartition des durées relatives (l'établissement d'un rythme). Exemple.
Quelle serait la meilleure façon de dire ce court poème de Michel Deguy, tiré de Ouï dire? Quand le vent pille le village Tordant les cris L'oiseau S'engouffre dans le soleil Tout est ruine Et la ruine Un contour spirituel
1 1213/22/2/23//3/3#34 = 4212/112 = 43
2 313#22/2#223//3#3#34 = 32/13//112 = 22/3
3 314 (pille) #4/4#4//4 (ruïne) 4#34 = 31/11//22 = 22/2
4 44#22/2#25 (-fre dans le...) // 13/3#34 = 22/12//2/12 = 22/22
Réaction 40


Il y a encore des poètes qui choisissent les règles (Péguy, Mallarmé, Valéry, Cocteau, Claude Roy, Jean Cayrol...) mais plus personne ne doit plus se sentir tenu de le faire et cela change le paysage. Désormais toute combinaison formelle sera non plus contrainte mais choix, et choix significatif.
On lit, dans Biefs, de Michel Deguy (1964): Un jour elle sera là elle apparaîtra Elle n'était pas là elle était ailleurs Voici qu'elle Viendra de là-bas ici elle entrera J'aurai affaire à elle Elle sera là pour moi. Comment définir le rythme?
1 Ce sont des vers syllabiques car le nombre de syllabe est fixe.
2 Ce sont des vers graphiques car ils reproduisent qqch. visuellement.
3 Ce sont des vers libres car ils ont un rythme mais de structure variée.
4 C'est de la prose poétique car il y a une certaine régularité des accents.
Réaction 41


Conclusion? Quelle est la marque formelle du vers moderne? N'importe quoi?
Réaction 42


Ce qui fait le vers, libre ou régulier, c'est un certain découpage, pas seulement graphique (le fait d'aller à la ligne!) mais surtout rythmique, qui vaut par lui-même et peut prendre certaines libertés avec la phrase syntaxique.

Dans le poème en prose, ce découpage ne va pas jusqu'aux syllabes. On a évidemment aussi un découpage rythmique mais il porte sur les mots phonétiques (et dans la prose poétique, il ne portera plus que sur des groupes de mots phonétiques). Dans le poème en prose, les phrases sont découpées comme en prose, elles forment des alinéas, tout au plus des versets, mais qui correspondent exactement à des phrases ou des ensembles de phrases. Le vers libre coupe au milieu des phrases.

L'opposition prose / vers subsiste donc de nos jours mais restructurée de façon que fond et forme se compénètrent de manière toujours nouvelle plutôt que réglée d'avance. Le vers libre est souvent découpé indépendamment de la syntaxe. Sous cet angle, il s'oppose au poème en prose, où le découpage syntaxique est normal, ce qui ne l'empêche pas d'avoir, sur des ensembles plus étendus, un rythme esthétiquement élaboré et significatif.

Le traitement rythmique est plus fin dans le vers libre. Il peut certes coïncider avec celui des groupes syntaxiques, en toute simplicité. Il peut aussi ne pas coïncider, ou coïncider partiellement, avec surimposition d'un rythme plus court.
Mon chien qui rêve qu'il est chien et grogne à mes pieds dans l'herbe n'est que mon chien qui se sait chien dans l'herbe qui n'est que de l'herbe Mais moi Que voulez-vous que je dise de moi Je ne vis qu'une fois mais c'est toujours ailleurs Je vis de mille vies Je meurs de mille morts (Claude Roy, Mille morts)
1 Le fonds est poétique mais la forme, puisque le découpage peut disparaître sans inconvénient, est tout simplement de la prose.
2 Il faut dire chaque ligne comme un vers, en prononçant les e muets.
3 Quatrain d'octosyllabes. Tercet d'alexandrins.
4 Vers libre. Strophe libre.
Réaction 43


Le vers d'Aragon, celui d'Éluard, celui de Breton, de Desnos, de Prévert, de Peret a une longueur imprévisible et une structure rythmique, mais parfois le vers libre n'est pas destiné à la profération, il forme un dessin sur la page... C'est le vers graphique. Le vers graphique remonte au moyen âge, et il avait reparu déjà avec Apollinaire, sous le nom de calligrammes. Exemple tiré de Paroles (Jacques Prévert).
LE JARDIN

Des milliers et des milliers d'années

Ne sauraient suffire

Pour dire

La petite seconde d'éternité

Où tu m'as embrassé

Où je t'ai embrassée

Un matin dans la lumière de l'hiver

Au parc Montsouris à Paris

À Paris

Sur la terre

La terre qui est un astre.


On reconnaît la forme d'une des vasques de ce jardin. Mais il n'empêche : ce sont aussi des vers libres, et on peut aimer le poème sans avoir vu son côté graphique. Même le poème graphique peut avoir son rythme.

Vous laisserez-vous tenter par le vers libre?

Qui veut comprendre le vers libre dans toute sa réalité sonore et rythmique -- et même lui en conférer une au besoin! -- voudra maintenant regarder de près en quoi elle peut consister. Et pour mieux la sentir, voici un poème imitatif d'un bruit particulièrement rythmé, celui du train. Faut-il dire ces vers avec le rythme même du train, lui donner un ictus régulier, à chaque soudure de rail?
Valéry Larbaud, Ode. Prête-moi ton grand bruit, ta grande allure si douce, Ton glissement nocturne à travers l'Europe illuminée, O train de luxe! et l'angoissante musique Qui bruit le long de tes couloirs de cuir doré Choisir, pour le dernier vers, le rythme le plus expressif.
1 vers accentuel (2#2#2#2#2#2)
2 alexandrin romantique (4#4#4)
3 vers métrique (`u|=#u|=u|=u|=#u|=u|=')
4 (Autre chose)
Réaction 44


Il y a donc plusieurs types de rythmique à envisager selon l'auteur et le sujet, pour le vers libre.
Voici une strophe de Fragment du cadastre de Michel Deguy. Ils mouraient comme des méduses sur la grève Comme si les germains les frères n'étaient nés Que pour inventer ces neuves hécatombes Une incroyable façon de nous faire mourir Le rythme de ces vers est ______.
1 prosaïque (343/523#523/4222) [d'nous fair']
2 libre cadencé (3#43/14#2#3/423/42#22) [qu'pour]
3 libre métrique (`uu|=#uuu|=uuu|=' / `u|=uu|=#u|=#u|=#uu|=' / `uu|==|=#u|=#uu|=u / `u|=u|=#uu|=#uu|=#u|=)
4 syllabique (quasi alexandrins, soit: 3#32#4 / 33#2#4 / 5#23 / 43#32)
Réaction 45


Ces transcriptions ne peuvent donner qu'une médiocre idée de la réalité. Aussi avons-nous enregistré une cassette avec une soixantaine d'extraits prononcés de diverses manières. Ceux qui voudront aller plus loin dans l'analyse des vers ou en composer peuvent se la procurer en cliquant sur livres et cédéroms, à la page www.cafe.edu.

Le surréalisme ne se rencontre pas seulement sous la forme poétique.

Le texte de création.

Un surréaliste, Alfred Jarry, le père d'Ubu roi, ouvre la voie d'une composition prosaïque inutile et féroce, qui ne l'épargne surtout pas lui-même.
C'est à dessein que nous avons omis de dire, ces sens étant fort connus, que ha ha est une ouverture dans un mur au niveau de l'allée d'un jardin, un trou-de-loup ou puits militaire destiné à faire écrouler les ponts en acier chromé, et que AA peut encore se lire sur les médailles frappées à Metz. (Alfred Jarry)
1 Humour surréaliste.
2 Trait de pataphysique.
3 Encryptage.
4 Non-sens.
Réaction 46


Toute une génération s'est ensuite complu dans l'idée de la mort de la littérature.
Dans Louve basse, il arrive à Denis Roche de transcrire telle quelle une conversation qui se déroule au même moment. Elle (riant de nouveau): Alors Denis: tap tap tap la machine, hein? Ha ha!... [Il lui montre ce qu'il a tapé] --- Ha ha ha!, c'est pas possible: je fais Ha ha comme ça tout le temps?...
1 Procédé original. On cherche, pour la littérature, qqch. de nouveau.
2 C'est simplement l'idéal balzacien du "roman photographique".
3 Il s'agit plutôt d'une "épiphanie" selon Joyce (ramener le personnage à un de ses mots typiques).
4 Court-circuitage de l'énoncé avec l'énonciation: le but est de rendre la littérature impossible.
Réaction 47


Mais pourquoi ne pas se contenter du lecteur réel plutôt que de mystifier tout lecteur possible? Ou n'écrire que pour soi? La littérature peut-elle se dépasser absolument? Ne devrait-elle pas plutôt s'assumer, du début à la fin de ses propres capacités signifiantes? Quelle genre de littérature consommerez-vous dans vingt ans? Des choses toujours nouvelles ou celles du plus lointain passé? Des traductions venues de l'Orient ou du Grand-Nord? Et qu'aimeriez-vous savoir produire pour vous et vos proches?

Réaction 48


Ici, nous n'avons pas à donner d'autre réponse que celle que vous, lecteur, en devenant votre auteur, voudrez donner. Ainsi la poésie restera-t-elle dans la ligne de son essence initiale : une fabrication, un acte de soi.

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